La
feuille était à nouveau portée par les ailes du
vent, sentant sa fraîcheur parcourir ses rainures et lui donner
un ultime souffle de vie.
Le froid de l'hiver s'était
lentement installé sur le paysage, colorant de givre l'herbe
verte des prés.
Elle avait quitté la ville, portée
par un vent nouveau qui soufflait dans l'autre sens maintenant, la
ramenant inexorablement au dessus des paysages qu'elle avait déjà
survolés.
Elle avait entendu dire, ou alors le savait-elle
par instinct, qu'à sa dernière heure arrivée on
revoit toute sa vie défiler devant soi...Comme pour faire le
deuil de ce que l'on laisse derrière soi, ou pour trier les
souvenirs à emporter avec soi.
Elle, sa vie n'avait rien
eu de très excitant. A part peut-être dans ses derniers
moments. Depuis le début de son voyage jusqu'à cet
instant. Et voilà que le vent lui faisait refaire ce parcours
en sens inverse. Drôle de façon de revivre sa
vie...
Drôle de voyage, tout simplement... Elle survolait
ces lieux connus en se remémorant son premier passage mais
également en se créant d'autres souvenirs. Les jeunes
n'étaient plus sur le ponton dans le parc... Les cygnes s'en
étaient rapprochés, se mêlant au bruissement
d'ailes des canards se secouant comme pour enlever l'eau froide de
leur plume et se réchauffer.
Le temps lui semblait
suspendu.
Pourrait-elle voler encore plus haut si le vent le lui
permettait?
Non. Le vent qui soufflait était un vent froid
qui descendait du Nord et la ramenait vers son arbre. Pas de courant
ascendant pour la porter plus haut mais un vent glaciale qui lui
givrait les nervures et qui la rapprochait encore et toujours du sol,
de la fin de son voyage. Elle n'aurait pas la chance de repartir une
deuxième fois. Elle le savait au fond d'elle. Lorsqu'elle
toucherait le sol, elle ne repartirait plus jamais et cesserait
d'exister. Car c'est cela, mourir, cesser d'exister.
Les humains
continuaient d'exister en quelque sorte dans la mémoire des
gens avec qui ils ont traversée la vie... mais elle, qui se
souviendrait d'elle?
"La
question que tout le monde se pose: qu'est-ce qu'il y a après
la mort? Moi je ne souhaite pas le savoir. Tout ce qui m'importe pour
le moment c'est d'être encore en vie, peut-être plus pour
longtemps, mais qu'est-ce que ca peut faire? voilà maintenant
un petit bout de temps que je me laisse porter par le vent... Mais je
sens très bien la vie quitter peu a peu mes rainures..seul sa
morsure me maintient encore éveillée. Sa morsure et
tous ces paysages qu'il m'offre. Comment peut -on faire le mort quand
on a tant de chose à regarder? Comment peut-on les ignorer?
"Tandis-que je survole le monde, je me pose tout de même
quelques questions... Elles ont malheureusement rapport avec ma mort
proche... La réponse à la plus importante de ces
questions pourraient répondre à toutes les
autres...Pourquoi ce cycle de vie si il doit se terminer par la mort?
Pourquoi, surtout, un délai si court? A peine un souffle, un
murmure dans l'immense age de l'univers. Une étincelle dans
une chambre noire.
"Néanmoins, plus je me pose
ces questions, plus je me dis que cette vie n'est pas à
négliger. Si courte qu'elle soit, elle nous est donnée
pour que l'on en profite au maximum. Si on simplifiait la notion
infinie du temps a une courte année, le moment de la vie
serait un peu un soir de Noël ou le Père-Noël nous
offrirait ce plaisir et ce cadeau immense qu'est la vie..Ah si
seulement ça pouvait être comparer à une année...
cela voudrait dire qu'au bout de cette année on aurait encore
un soir de Noël, et encore ce cadeau...Malheureusement ici,
l'année est infinie. Pas de deuxième chance. Un seul
cadeau. Alors si nous ne profitons pas de ce cadeau...
"Difficile, me direz-vous, de profiter de la vie lorsque l'on
est attachée à une branche pendant une majeure partie
de cette vie...On ne peut malheureusement pas profiter à
chaque instant. Les obligations nous en empêche... Mais il faut
savoir reconnaître les instant où l'on se décroche
de la branche, où l'on est libre d'aller et de voir le monde,
libre de profiter...
La feuille se posa lentement au pied de son arbre désormais nu. Son voyage se terminait là où il avait commencé, comme s'il n'avait été qu'un rêve dans l'esprit d'une feuille à l'agonie.
« Rêve ou pas, ce fut un beau voyage... »
L'histoire de cette feuille s'achève aujourd'hui et son périple avec. Le texte ne fait peut être pas 15 pages comme le pari le demandait mais l'important est de l'avoir écrit et d'y avoir pris du plaisir. Il faut savoir s'arrêter lorsqu'on raconte une histoire, savoir quand il ne sert plus a rien d'étoffer au risque d'étouffer l'histoire... Je ne souhaitais pas faire de texte a caractère moral mais ma plume en a décidé autrement...
« On ne va jamais aussi loin que lorsque l'on ne sait pas où l'on va » C.Colomb.
Commentaires
Pari hautement réussi, félicitations. Bon il t'as pris pas mal de temps, même beaucoup; mais l'important est d'avoir su aller jusqu'au bout, ne rien lâcher et garder le but initial de ce récit. En tout cas ce dernier texte est superbe. Encore bravo!
Maintenant un autre défi... Et si on continuait notre livre?